22 mai 1946. An 01 de la sécurité sociale… Michel ETIEVENT

Michel ETIEVENT, historien, écrivain, biographe d’ambroise Croizat : A paraître aujourd’hui sur le site de l’Humanité.fr 22 mai 1946. An 01 de la sécurité sociale…

Photo IHS Santé Action sociale

« Ce grand édifice social assurera désormais à tous les citoyens un avenir débarrassé de toutes les incertitudes qui minaient vos vies et celles de vos familles. Il nécessitera, mes camardes, un engagement total car il naîtra de vos mains. Tout est à construire. Et tout dépendra de vous ! » 

C’est en ces termes qu’Ambroise Croizat, ministre du travail, ouvrit le 15 janvier 1946 devant une assemblée de militants CGT le chantier de la sécurité sociale. Les mots ont la force d’une utopie. Dans un pays où la majorité de la population n’a aucune couverture sociale digne, il s’agira de transformer ce qui n’était qu’un simple mécanisme d’assurance inégalitaire en un droit universel, solidaire et obligatoire couvrant l’ensemble de la population. Inspirée par le programme du CNR, l’ambition est de substituer aux 1093 caisses d’assurances existantes 113 caisses de sécurité sociale, chacune regroupant au plus proche des habitants l’ensemble des « risques sociaux » : maternité, maladie, vieillesse, accident du travail.

Le socle du nouveau système repose sur deux grands principes nouveaux nés de l’invention sociale de la Libération : la solidarité et la démocratie. Ce dernier, inscrit dans le marbre de l’ordonnance du 4 octobre 1945, sera plus tard réitéré par Ambroise Croizat : «Le seul moyen de garantir l’accès et la pérennité du droit à la santé pour tous repose sur une l’institution gérée par les intéressés eux-mêmes ». Là est la grande innovation française.

Désormais les conseils d’administration des caisses seront dirigés ainsi : 3/4 des sièges aux salariés, 1/3 aux patrons… « On a du mal à imaginer aujourd’hui l’enthousiasme des copains à l’époque, raconte Jolfred Fregonara, président de la caisse de Haute Savoie. Nous savions que nous bâtissions notre futur et que nous allions en finir avec la peur de la maladie et des aléas de vieillesse. Une fenêtre de changement s’ouvrait, il fallait s’y précipiter car nous savions que les forces d’un patronat déboussolé pouvaient se reconstituer très vite. Tout était à créer. Il fallait voir les gars, essentiellement des copains de la CGT comment ils bossaient de jour et de nuit. Construire une à une les caisses parfois même de nos mains sur nos congés ou après notre temps de travail ».

Les craintes du militant se vérifièrent très vite De multiples résistances se font jour pour tenter de retarder l’œuvre des bâtisseurs. Aux contre projets de la droite, s’ajoute la violence de la réaction des médecins libéraux affolés par ce qu’ils avaient baptisé la « médecine de caisses socialisée sous les ordres de la CGT ». Sans oublier les réticences de certains mutualistes au régime unique qui se voyaient dépossédés de leur bien et particulièrement de professions déjà organisées autour de leur propre caisse. « Ce fut le cas des agriculteurs, artisans commerçants et d’autres corporations, ajoute Jolfred Fregonara. .Il y avait là de fortes crispations corporatistes, mêlant la volonté de ces professions de rester entre elles et de garder ce qu’elles considéraient comme leurs propres avantages ».

Ambroise Croizat n’a cure de ces oppositions. Soutenu par le rapport de force politique et syndical de la Libération, il impose la loi du 22 mai 1946 qui pose le principe de la généralisation de la sécurité sociale intégrant tout « résident français dans un régime unique ». L’article 29 vient toutefois limiter la portée de la loi en spécifiant que les professions déjà organisées pourront « provisoirement » garder leurs réglementations autour de leurs caisses le temps de construire le régime général et de « tout aligner vers le haut »

Avec la pression américaine, l’éviction des ministres communistes et la division syndicale inspirée des USA, ce qui n’était que provisoire va devenir définitif. La promulgation de la Loi Morice du 4 mars 1947 qui autorise la mutualité à gérer le régime obligatoire de la protection sociale met fin à l’ambition de créer un régime unique qui ne verra jamais le jour. « Ce que vous avez créé en quelques mois, mes amis, demeurera inscrit dans l’avenir de nos enfants. Mais y faudra toutefois votre vigilance pour conserver ce qui restera comme l’une des plus belles conquêtes de la dignité » déclarait Croizat en quittant son ministère le 5 mai 1947.

Michel ETIEVENT, historien, écrivain, biographe d’ambroise Croizat

Pour allez plus loin…

Michel Étiévent : « La Sécu a été entièrement bâtie dans un pays ruiné grâce à la seule volonté militante »

https://comptoir.org/ Avec Macron, la privatisation de la Sécu est en marche forcée : augmentation de la CSG (contribution sociale généralisée), milliards d’euros “économisés” (et lits d’hôpitaux en moins), chasse aux fraudeurs, augmentation du forfait hospitalier… Pour comprendre pourquoi on devrait défendre la Sécurité sociale avec acharnement plutôt qu’accepter béatement sa destruction méticuleuse, nous revenons sur les conditions de sa création et son histoire avec Michel Étiévent – historien militant né dans la même maison que l’homme à l’origine de la Sécu – dans le numéro deux de notre revue. Construite envers et contre le Capital dans un pays ruiné par la guerre, la Sécurité sociale est probablement le service public qui a le plus changé la vie des Français au siècle dernier. https://comptoir.org/2017/11/17/michel-etievent-la-secu-a-ete-entierement-batie-dans-un-pays-ruine-grace-a-la-seule-volonte-militante/

La Sécu, préparons nous, à la défendre !

Le budget de la protection sociale (475) s’élève toujours, malgré le dépeçage, à plus d’un tiers du budget de l’Etat (373). Aussi aiguise-t-il bien des appétits, à commencer par ceux des assureurs, banquiers et autres spéculateurs, qui rêvent de mettre la main sur cet énorme pactole. https://luttercestvivre.wordpress.com/2016/08/12/la-secu-preparons-nous-a-la-defendre/

Une réflexion au sujet de « 22 mai 1946. An 01 de la sécurité sociale… Michel ETIEVENT »

  1. Merci à Michel Etievent, inlassable biographe d’Ambroise Croisat à qui nous devons tant. Merci à tous ceux qui ont contribué à la construction de la Sécu et qui continuent de la défendre. Solidairement. Denise Marsetti.

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